Un mythe s'écroule. L'abbé Pierre, mort en 2007 à l'âge de 94 ans, est accusé d'agression sexuelle par sept femmes, dont une mineure au moment des faits, qui se seraient déroulés entre 1970 et 2005. La nouvelle a été rendue publique le 17 juillet par trois associations non confessionnelles dont l'abbé Pierre a été à l'origine : Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre.
Cette information, touchant un défunt ne pouvant répondre des accusations portées contre lui, requiert un a priori de prudence, mais elle est formellement validée par ces trois organismes qui ont mandaté un cabinet spécialisé, le groupe Egaé, fondé par la militante féministe Caroline de Haas, pour réaliser une enquête indépendante à la suite d'un premier signalement en 2023.
Cette enquête aboutit à un communiqué officiel qui dénombre « sept femmes » victimes. Le texte, publié sur le site des trois institutions, décrit « des comportements pouvant s'apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlements sexuels commis par l'abbé Pierre ». Selon ce travail de recherche, cinq autres témoignages similaires pourraient être versés à charge contre ce prêtre catholique. Un appel à d'autres témoignages est lancé.
Dans un livre interview avec Frédéric Lenoir publié en 2005, « Mon Dieu… pourquoi ? » (Plon), l'abbé Pierre avait reconnu qu'il n'avait pas toujours été fidèle à son vœu de chasteté. « Il m'est arrivé de céder à la force du désir de manière passagère, témoignait-il, mais je n'ai jamais eu de liaison régulière, car je n'ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m'aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme. » Il disait également ne pas comprendre le refus du pape Jean-Paul II, qu'il avait rencontré à plusieurs reprises, d'abolir le célibat sacerdotal.
Cette confession publiée deux ans avant sa mort - confirmée par une interview télévisée de l'abbé Pierre avec Marc Olivier Fogiel - avait provoqué un certain émoi dans le milieu ecclésial mais elle avait finalement contribué à renforcer son image de prêtre frondeur, dont personne ne pouvait alors soupçonner qu'il serait accusé d'agressions sexuelles.
Né à Lyon, religieux dans l'ordre des capucins, héros de la résistance, trois fois élu député à l'Assemblée Nationale, fondateur des communautés Emmaüs, où les pauvres et sans-abri étaient les premiers servis, auteur du fameux « appel de l'abbé Pierre » lors du terrible hiver 1954, ami de tous, respecté internationalement par les plus grands artistes, écrivains et politiques, l'abbé Pierre était « la » figure d'une conscience catholique et française du XX° siècle. Ce monument s'écroule donc, dix-sept ans après sa mort. L'institution catholique perd l'une de ses figures morales et sociales de référence, et beaucoup de crédibilité.
L'épiscopat catholique français a dit sa « douleur » en rappelant « l'impact remarquable » de cet « éveilleur des consciences » en faveur « des plus pauvres » mais salue « le travail de vérité nécessaire » qu'Emmaüs a eu « le courage » de réaliser. L'Église dit sa « profonde compassion » pour les victimes, et souligne « la honte que de tels faits puissent être commis par un prêtre ».
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