Laëtitia Cherel, grand reporter à la cellule investigation de Radio France, et Marie-France Etchegoin, ancien grand-reporter au Nouvel Obs, étaient les invitées de France Inter ce vendredi, à l'occasion de la parution de leur livre-enquête "Abbé Pierre. La fabrique d’un saint"(Allary éditions). Qui était vraiment l'abbé Pierre ? Un livre-enquête publié jeudi brosse "la face sombre" de celui qui fut longtemps une icône en France, entre manipulation, soutien au maréchal Pétain, propos antisémites et gestion opaque des fonds d'Emmaüs.
Moins d'un an après l'électrochoc créé par les accusations d'agressions sexuelles visant le prêtre décédé en 2007, le livre "Abbé Pierre, la fabrique d'un saint" (Allary) des journalistes Laëtitia Cherel et Marie-France Etchegoin écorne encore un peu plus l'image du fondateur d'Emmaüs. L'une des principales révélations est que le Vatican était au courant "dès l'automne 1955" des agissements de l'abbé Pierre, visé par des accusations d'agressions sexuelles.
"Quand on a commencé ce livre, on se disait comment un homme qui a fait tant de bien a pu faire du mal ? On a commencé par les agressions sexuelles et ensuite, on a tiré le fil d'une pelote, qui s'est dévidée devant nous, devant tous les documents qu'on a trouvés", raconte Laëtitia Cherel. "On était en état de sidération parce qu'on ne pensait pas trouver ce qu'on a trouvé, d'autant que lui-même dans ses biographies omettait des pans entiers de sa vie ou les enjolivait."
"Au fil de l'enquête, on était stupéfaites, malgré ce qu'on savait déjà", abonde Marie-France Etchegoin. "Sa face lumineuse nous a tous aveuglés. On n'a jamais enquêté sur l'abbé Pierre, on a pris pour argent comptant le récit qu'il a façonné lui-même."
L'abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, a longtemps été connu pour son action dans la Résistance dès 1942 et avoir fait passer des juifs en Suisse avec des faux papiers. Mais il n'a pas toujours été "un rebelle", écrivent les deux journalistes qui s'appuient sur des écrits du prêtre datant de 1941 dans lequel il soutient le maréchal Pétain. "Pendant les deux premières années de l'Occupation, il est un pétainiste convaincu, il propose même ses services à un organisme de Vichy encadrant la jeunesse", affirme Marie-France Etchegoin.
Les deux journalistes ont découvert un autre document, dans lequel l'abbé, "interrogé par les services de renseignement gaullistes à Alger en juillet 1944, tient des propos sidérants", poursuit-elle. "Il explique que les juifs réfugiés dans les villages d'altitude autour de Grenoble, région où il a résisté, sont des familles 'regorgeant d'or avec quoi elles raflaient avec une impitoyable dureté tout', alors que ce sont des juifs qui fuient les persécutons. Ensuite, il va compter le nombre de juifs dans les institutions gaullistes à Alger, et même envoyer un rapport à de Gaulle, en disant 'attention, risque d'invasion israélite", indique la journaliste.
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