La zone de sécurité, installée dans l’enceinte grillagée de l’Église de l’Icône de la Mère de Dieu, à quelques pas de l’édifice religieux, est loin d’être assez grande pour contenir tous les soutiens venus dire adieu à Alexeï Navalny, mort mi-février dans des circonstances obscures dans une colonie pénitentiaire russe de l’Arctique. Des milliers de personnes se serrent, plus loin, bien encadrées par les forces de l’ordre elles aussi présentes en nombre.
Rien ne les a découragés : ni les deux petits degrés au mercure à Moscou, ni les portiques de sécurité qu’il faut passer pour entrer dans la zone, ni les risques d’arrestation. Ni, même, le climat de peur qui s’est installé dans le pays ces dernières années. « Chaque participant qui s’est rendu aux funérailles connaissait les dangers. Il y a les caméras de surveillance, les systèmes de reconnaissance faciale… On sait qu’il est possible que le gouvernement place tous ces citoyens sur les listes des opposants ou des extrémistes, mais c’est important de vaincre sa peur. C’est ce que disait Alexeï », nous explique Alexandre Tcherkassov, fondateur du Centre des droits de l’homme « Memorial », l’une des ONG qui a reçu le prix Nobel de la Paix en 2022.
Au-delà des interpellations, les risques concrets « c’est d’avoir des ennemis, des soucis sur le plan professionnel, de subir des pressions de la part des autorités à tous les niveaux », détaille Jules-Sergei Feduinin, post-doctorant à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). « Malgré ça, la mobilisation était importante, alors que c’est un jour travaillé », ajoute-t-il. Les ambassadeurs français, allemand et américain ont aussi fait le déplacement, ainsi que trois figures de l’opposition encore en liberté : Evguéni Roïzman, Boris Nadejdine et Ekaterina Dountsova.
Selon le rite orthodoxe, le corps d’Alexeï Navalny – remis à sa famille après des jours de négociation – a été exposé à cercueil ouvert à l’intérieur de l’église pour ses proches, dont ses parents, Lyudmila et Anatoly. C’est ensuite sur les notes de « My Way », de Frank Sinatra, que le cercueil a été définitivement fermé avant de sortir de l’édifice. Sa femme, Ioulia Navalnaïa, qui vit à l’étranger, n’a pas pu assister à la scène, par crainte d’une arrestation. À la place, elle a rendu un vibrant hommage à son mari sur le réseau social X, expliquant ne « pas savoir vivre sans » lui.
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